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Cheick Oumar Kanté

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LES ARTICLES DE L'AUTEUR

"LES MOTS AU SERVICE DE LA PAIX" EN GUINÉE !

Citation :
La paix, grâce aux livres, règnera-t-elle bientôt partout en Guinée ? Pourquoi pas ? Il n'est pas interdit de l'espérer.

L'état du livre et de la lecture en Guinée après un autre retour du Salon de Conakry, les désormais "72 heures du Livre".

Les grandes douleurs sont muettes, a-t-on coutume de dire. Les grandes joies aussi, pourrait-on ajouter. Ce qui explique sans doute ma longue attente pour raconter les "72 heures du Livre" en Guinée à la fin de leur 5ème édition les 23, 24 et 25 avril 2013.

Il est vrai, hélas, que mon plaisir de retourner au pays, après neuf autres années d'absence, a été pendant la durée de mon séjour atténué par la peine de constater que la Guinée demeure reléguée aux dernières places d'accès au développement en matière d'habitat collectif, d'infrastructures routières, de salubrité publique, de fourniture d'eau et d'électricité... D'ailleurs, à n'en citer que trois ou quatre, on laisserait penser que d'autres secteurs, l'indice du bonheur humain par exemple, connaîtraient, eux, une légère amélioration. Ce qui n'est pas du tout le cas.
Le progrès ? La Guinée paraît même, dans tous les domaines, s'en être davantage éloignée. Elle qui, avec tous les atouts qu'elle recèle, est partie la toute première au Sud du Sahara francophone sur le chemin de l'indépendance en 1958 !...
En neuf ans, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts ! Notamment, sous celui de Tombo, ces trombes d'eaux de ruissellement inondant par épisodes l'ancienne "Perle de l'Afrique Occidentale". À son propos, il y a lieu de rappeler que des anciens dignitaires du Parti au pouvoir, le PDG, accusés d'intelligence avec l'ennemi, commanditaire de l'agression du 22 novembre 1970, avec des preuves fabriquées de toutes pièces, y ont été exécutés par pendaison publique ! Il a été démoli, "le Pont des Pendus", comme a été passé par pertes et profits le tristement célèbre Centre de détention et d'exécution aux alentours, le Camp Boiro. Mais il a été reconstruit, lui, le Pont, sur un jeu de rocades censées améliorer la circulation automobile sur la Presqu'île du Kaloum. L'ensemble ajoute plutôt à la confusion que gèrent les agents de la circulation ouvrant et fermant les passages tantôt dans un sens tantôt dans l'autre, au gré de leur humeur dont on ne sait jamais si elle est sourcilleuse ou facétieuse. Et les mots qui me sont venus à l'esprit, ce sont bien : "saurais-je encore conduire une voiture dans les rues de Conakry ?" La capitale où tout le monde se plaît à circuler en dépit du bon sens le plus élémentaire, les panneaux de signalisation étant rares, les feux tricolores inexistants. De 1985 à 1988 voire jusqu'en 2004, la situation était moins… pire, me semble-t-il.
Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, ai-je dit. Et la Grande Faucheuse, seule régulatrice des successions au pouvoir en Guinée a fait son œuvre. Lansana Conté est mort de sa belle mort en décembre 2008 comme Sékou Touré lui-même a su tirer sa révérence en mars 1984. Le Capitaine Dadis Camara, autoproclamé aussitôt "Khalife à la place du khalife", s'est trouvé disqualifié lui aussi en décembre 2009 pour avoir seulement failli mourir sous les balles d'un certain Toumba Diakité, son aide de camp. Un Général, Sékouba Konaté, a pris sa place pendant une Période dite de Transition ayant débouché en novembre 2010 sur le premier suffrage universel direct permettant aux Guinéens de choisir, entre plusieurs candidats, un Président : l'actuel chef de l'État, Alpha Condé. Ayant réussi, quant à lui, l'exploit de se faire élire par 52,52% des électeurs guinéens au second tour après n'en avoir recueilli que 18,25% au premier, il a pour le moment échoué à faire composer une Assemblée Nationale depuis bientôt trois ans pour ne pas dire qu'il ne s'est pas du tout empressé de s'y atteler…

Mais, pour être belle, elle était vraiment belle, la thématique de la 5ème édition des "72 heures du Livre" : les mots au service de la Paix !" Les mots des écrivains guinéens, bien sûr, ceux des écrivains africains aussi. Sans oublier, de toute évidence, ceux des écrivains d'autres pays du monde. Car, au rendez-vous de la capitale guinéenne, ont répondu présents autour de l'invité d'honneur le Franco-Congolais, Henri Lopès, le Français Laurent Bonnet auteur de l'émouvant "Salone" (un roman sur la Sierra Léone, pays emblématique des ravages causés par les guerres civiles africaines), le Franco-Camerounais Eugène Eubodé, le Malien Doumbi Fakoly, l'Italo-Guinéen Mamadi KABA, l'Ivoirienne Michelle TANON, l'Antillaise, Sylvia BANÉ, Directrice des éditions Menaibuc. Étaient aussi de la partie le Sénégalais, Malick LEYE, Distributeur régional (Mali, Sénégal, Burkina Faso…) basé à Bamako, l'Ivoirien, Dramane BOUARÉ, Fondateur et Directeur des éditions "Les Classiques Africains", des invités (auteurs et/ou éditeurs) de la Sierra Léone et du Liberia qui, avec la Guinée et la Côte d'Ivoire dans le cadre de la Mano River Union (regroupement sous-régional pour l'intégration économique dans la paix et la sécurité), ambitionnent désormais de créer une synergie pour la promotion du livre et, bien sûr, votre humble serviteur, journaliste et écrivain Franco-Guinéen.
Nous avons été accueillis par le Président et les Adhérents de l'Association des écrivains guinéens, les responsables des éditions Ganndal, Tabala, Harmattan Guinée… Et, tout naturellement, par Sansy KABA DIAKITE, Directeur de Harmattan Guinée, maître d'œuvre desdites "72 heures du Livre" qui a joué sans se ménager le rôle de maître de cérémonie, aidé entre autres par l'infatigable et la très efficace Mme Martine DIALLO.
Jeune Afrique, Voxafrica… la presse écrite, radio, télévisuelle et électronique guinéenne couvraient l'événement.
"Les mots au service de la Paix !" ont résonné aux oreilles comme ceux d'un slogan mais, en aucune façon, ils n'ont été pris pour une injonction à écrire désormais en faveur de la paix. Pas un seul écrivain ne devant, même contraint et forcé, écrire pour une cause téléguidée si noble soit-elle ! Tout le monde a surtout compris (les organisateurs en premier, il faut l'espérer), que certains textes d'écrivains pouvaient dans des circonstances particulières concourir à la paix. En l'occurrence, il n'y a qu'à les mobiliser, de toute urgence, au service de la Guinée dans la périlleuse situation politique qui est la sienne.

"NOUS VOULONS LA PAIX, RIEN QUE LA PAIX !"

Ainsi Zenab Koumanthio DIALLO, poétesse guinéenne, se sentait-elle - ô combien ! - en harmonie avec la problématique et pouvait-elle déclamer l'intégralité du poème d'où est extrait le passage ci-dessous aussi bien lors de la cérémonie d'ouverture au Centre Culturel Franco-Guinéen (le CCFG) qu'au cocktail offert en sa résidence par l'Ambassadeur de France en Guinée.

"Nous voulons la paix, l'amour et l'amitié réels !
Et jamais de mères qui pleurent leurs fils
Arrachés à leur affection par la guerre !
Nous voulons la paix, l'amour et l'amitié réels !
Et jamais de sœurs qui pleurent leurs frères,
Trop tôt fauchés par des balles assassines
Nous voulons la paix, l'amour et l'amitié réels !
Et jamais de hordes interminables de réfugiés !
Nous voulons l'entente, l'harmonie, la concorde !
Nous voulons la paix! Simplement la paix! Rien que la paix !"

Henri Lopès, qui s'est vu décerner un doctorat honoris causa par l'Université de Sonfonia, pouvait, à son tour, en séance plénière au CCFG, d'abord assis puis debout, lire en un magistral et vibrant crescendo les vertus de son métissage, lui, le "Bantou aux ancêtres gaulois"

"Je ne suis pas un Congolais typique. Ni mon nom ni ma couleur n'indiquent mon identité. Et c'est bien ainsi ; comme vous, je descends du chimpanzé."

Interrogé sur le sort de la Guinée et sur ses relations personnelles avec son président, un ancien adhérent comme lui de la FEANF (Fédération des Étudiants d'Afrique Noire en France, association très active en faveur des indépendances), il a promis de ne pas être démagogue. Affirmant avoir noté des progrès, il dit penser que la bonne voie a été choisie puis, d'une pichenette, il s'est vite ravisé pour reconnaître lui-même qu'il a été… démagogue.

Binta ANN, écrivaine guinéenne, fondatrice par ailleurs de l'ONG FONBALE (Fondation Binta Ann pour les femmes et les enfants) a comme toujours apporté une contribution remarquée.

"Les enfants n'ont pas leur place dans la guerre, dans les rues, dans les mouvements des politiciens. Ils ont plutôt leur place dans leurs familles où ils doivent avoir une éducation de qualité. Les jeunes, au lieu de faire des manifestations politiques, doivent (…) réclamer des livres et des bibliothèques", a-t-elle pensé haut et fort devant ses différents auditeurs.

Michelle TANON était particulièrement bien indiquée pour tenter d'inspirer la paix, elle qui a vécu la tragédie de la guerre civile, consécutive à l'élection de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire dans des conditions décrites par lui-même comme calamiteuses.

Mamadi KABA, conteur, musicien en plus d'être écrivain aurait mérité d'avoir plus de temps et des élèves guinéens plus nombreux, de préférence au sein de leurs établissements respectifs pour leur faire entonner - comme il sait le faire de manière si harmonieuse et, par conséquent, fraternelle - les refrains ponctuant ses récits, performances auxquelles il a accoutumé même des tout jeunes Italiens.

LA GUINÉE, UN PAYS DE BRASSAGE DE POPULATIONS

Ousmane Paraya BALDÉ, écrivain en langue française et dans sa langue maternelle, le Peul, aurait dû pouvoir profiter d'une tribune et non pas d'un petit aparté entre auteurs. Il aurait su exprimer devant un auditoire idoine ses inquiétudes poignantes et ses préconisations judicieuses face au déchirement du tissu national guinéen et à la radicalisation des discours de rejet les uns des autres selon leur appartenance régionale pour ne pas dire ethnique. Plusieurs autres écrivains guinéens, en toute logique, auraient dû avoir la possibilité de dire leurs mots pour la paix en Guinée.

Péripétie réjouissante, des scolaires guinéens déclamant des slams inspirés se sont vu laisser toute latitude pour rivaliser devant un public nombreux et charmé sur les enjeux de l'unité nationale et de la réconciliation. Soussous, Peuls, malinkés ou Guerzés…, ils ont fait vœu de ne jamais être insensibles au sort des uns et des autres. Bien convaincus qu'ils sont, eux, d'être issus de la même famille guinéenne, africaine et humaine…

Votre serviteur, enfin, était à son aise, lui aussi, l'autoproclamé "Afro-Humain" pour avoir dû pérégriner par son nom, par sa vie et par ses écrits entre le Mali, la Guinée, le Fouta, la Basse Guinée, la Haute Guinée, la Côte d'Ivoire, la Centrafrique, la France… Et il n'aura tant apprécié, à la Médiathèque du CCFG, de parler de terroir et de racines avec des très jeunes et des plus grands élèves, attentionnés mais particulièrement réactifs, que pour exprimer l'Exterritorialité, cette République dénommée l'Imaginaire, la Patrie de l'écrivain. Pourfendant, à l'occasion, tout repli faussement identitaire dans lequel des personnalités politiques voudraient enfermer les uns et les autres en Guinée, un pays de brassage de populations par excellence !

Séances de dédicaces, animations radiophoniques, interviews accordées aux médias - dont il y a lieu de féliciter la profusion - par les divers participants ont émaillé les "72 heures du Livre". Même si certaines radios cèdent à l'ethnocentrisme ambiant et diffusent à longueur de journée polémiques stériles et propos outranciers au seul prétexte qu'elles sont désormais libres.

Alors, "Conakry va-t-elle, dans un avenir proche, devenir la capitale du Livre en Afrique", comme le souhaite Sansy KABA DIAKITE ? Et la paix, grâce aux livres, règnera-t-elle bientôt partout en Guinée ? Pourquoi pas ? Il n'est pas interdit de l'espérer.

"La paix n'est pas un mot, c'est un comportement", disait Félix Houphouët Boigny qui, pour n'avoir pas voulu déroger à la coutume Baoulé qui interdit au Chef de choisir son successeur, n'aura pas su lui-même, lui non plus, par un paradoxe tragique éviter la guerre à la Côte d'Ivoire aux lendemains de sa disparition.

Que dire ? Que ne pas dire ? Comment le dire ? Au service de la paix, il faudrait à tout moment être particulièrement apte à choisir les mots. Par les mots, naissent et s'attisent les conflits. Par eux, aussi, passent les réconciliations sinon les conciliations. Et, savoir entre autres "tourner la langue sept fois dans sa bouche avant de parler", devrait être à la portée de tout orateur et a fortiori quand il a accédé à la Magistrature Suprême de son pays. Quant aux écrits haineux, on sait bien qu'ils restent à jamais !

J'avoue que le pari de la paix par les écrivains et leurs livres m'a semblé compromis d'emblée au contact rugueux avec un policier des frontières à l'aéroport de Conakry le soir du 21 avril.

— Qu'est-ce qui vous amène à Conakry ?
— Les "72 heures du Livre" !
— Les "72 heures du Livre" ? Moi, je suis policier, je ne lis pas de livres. Je n'aime pas lire du tout.
Pas peu décontenancé voire carrément estomaqué par la fierté avec laquelle l'officier s'est ouvert à moi, j'ai entrepris avant l'heure de faire œuvre de pédagogie :
— Alors, je vais vous dire une chose ! Moi, je suis un auteur, un écrivain. Avec d'autres auteurs comme moi, nous allons justement essayer en trois jours de vous aider, vous en particulier, à découvrir et peut-être à aimer la lecture. Même si je crois quand même savoir (j'en ai vécu l'expérience, il y a neuf ans) que chez beaucoup de Guinéens, l'engouement pour le livre est réel. Maintenant, le problème de son acquisition se pose à la plupart.

LE PRÉALABLE À LA LECTURE, C'EST SON OFFRE !

En vérité, ce qui pourrait hypothéquer plus durablement le pari, c'est l'affirmation péremptoire du Président de la République lui-même, recevant les invités des "72 heures du Livre" au cours d'un banquet dont je ne relèverai pas ici le côté ubuesque par simple courtoisie :

— Pour que le gouvernement aide l'édition, il faudrait que les Guinéens aiment lire. Les Guinéens ne lisent pas !

Puissent le policier aux frontières aériennes de la Guinée et le Président dans son bunker résidentiel avoir entendu à la radio, vu à la télévision et peut-être dans les journaux les prestations des invités des "72 heures du Livre". Et, peut-être, seront-ils mieux disposés l'un pour ouvrir et lire des livres et l'autre - ayant un peu écrit, lui aussi - pour savoir que le préalable à la lecture, ce n'est pas l'amour de la lecture mais bel et bien son offre !

Quittant la Guinée le soir du 29 avril, j'étais douloureusement hanté par des visions multiples et grouillantes. Toutes pouvant être requalifiées, mot pour mot, par l'épithète qui caractérise le courant littéraire le plus fécond du siècle dernier : surréaliste !
Surréaliste est l'état de la ville de Conakry dans laquelle évolue, à côté de nombreux nécessiteux, du beau monde accro aux outils les plus performants de l'ère numérique ! Roulant dans des limousines au confort n'ayant rien à envier à celles des milliardaires dans les quartiers les plus huppés du monde, il ne semble indisposé ni par les caniveaux à ciel ouvert "charriant" paludisme et choléra, ni par l'habitat précaire du commun des Guinéens en ralliant l'un ou l'autre de ses nombreux palaces privés !
Surréaliste est tout simplement la gouvernance guinéenne. Mais, n'est-ce pas toute la façon de gouverner des intellectuels africains qui est surréaliste, hélas ! De Abdoulaye Wade à Alpha Condé en passant par Laurent Gbagbo, ils sont détenteurs, tous, de multiples parchemins glanés parfois dans les universités occidentales les plus prestigieuses. Mais n'ont-ils pas contribué, - Il faut le craindre ! - à faire sombrer l'Afrique de façon difficilement remédiable ? Un peu plus encore que Idi Amin Dada, Jean-Bedel Bokassa, Etienne Eyadema et militaires consorts aux poitrails chamarrés de galons de bric et de broc, collectionnés dans l'armée coloniale quand ils ne les ont pas fait décerner à leurs trop suffisantes Excellences, une fois arrivés au pouvoir par coups d'état !
L'Unité Nationale et le Panafricanisme, dispositions d'esprit consubstantielles aux Guinéens, ont bel et bien craqué sous les coups de boutoir de la "malinkénité", de la "foulanité", de la soussouité, de la "guerzéité"… et autres "prurits, psoriasis et cancers ethnocentristes". Par la faute desdits intellectuels qui n'auront même pas su tirer une quelconque leçon des conséquences du concept de l'"ivoirité" en Côte d'Ivoire et du génocide des Tutsis au Rwanda !

Il m'est donc difficile, pour finir, de ne pas adjoindre l'adjectif tragique à surréaliste pour évoquer le solde des manifestations de l'Opposition guinéenne un certain nombre de jeudis face aux "Forces de l'ordre" : des morts, des blessés, des destructions de biens publics et privés… L'Opposition demande entre maintes exigences que se tiennent les élections législatives à une autre date, convenue entre tous les…" partenaires" politiques plutôt qu'à celle du 30 juin 2013, choisie de façon unilatérale. Le Pouvoir tient - jusqu'à quand ? - à maintenir cette date pour ne pas céder à la pression de la rue.
De quelle figure de style, de quelle métaphore user, à quels mots recourir pour sensibiliser autour du lourd tribut humain que ne cesse de payer la Guinée ; elle qui a déjà tant donné de son sang dans de trop nombreuses circonstances ? Faudra-t-il invoquer des mânes pour voir les Guinéens s'interroger plus sur le devenir de la Guinée et de tous les Guinéens que sur le ridicule destin politique de quelques-uns d'entre eux ?

Comme on voit, les Guinéens n'auront pas assez de la compétence de tous leurs écrivains, de celle des écrivains du monde entier, de la pertinence des mots des dictionnaires de toutes les langues pour espérer, après les avoir lus, vivre dans un pays où règne la paix à la consolidation de laquelle ils désireront avec ardeur participer.

De nombreuses déclinaisons des "72 heures du Livre" et autres événements culturels tournant autour de thématiques voisines "des mots au service de la Paix" mais pas incantatoires seulement seront, à n'en pas douter, nécessaires.

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De l'Intégrale d'Ahmed Sékou Touré Lire, encore lire, lire de tout, lire partout!

Citation :
Il incombe aux écrivains de combler les moindres trous de mémoire. Quand les Guinéens oseront se regarder en face, ils assumeront vite leur passé et envisageront, sereins, un avenir réconcilié.

Les éditions L'Harmattan viennent de publier dans la collection L'intégrale d'Ahmed Sékou Touré, à l'occasion du 64ème anniversaire de la proclamation de l'indépendance de la Guinée, tous les Tomes portés au crédit du premier Président de la République.
Parlant de lui, Bernard Mouralis a évoqué une scribomanie. Voilà en gras ce que, de retour du quatrième Salon du livre et de la lecture de Conakry en 2004, je suggérais de faire de ces fameux Tomes du Chef Suprême de la Révolution, productions d'une grouillante équipe d'universitaires, en vérité, Inspecteurs du Parti Démocratique de Guinée.

Où, donc, les écrivains - qu'ils soient nationaux, expatriés ou étrangers - sont reçus par les jeunes générations, filles et garçons confondus, telles les grandes vedettes de musique africaine, de rap, de rock, de reggae ou de world music ?
En quel pays, les émules de Seydou Badian Kouyaté, Aimé Césaire, Chinua Achebe, Wole Soyinka, Henri Lopès, Mongo Beti, Tchicaya U Tam'Si, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Hamidou Kane, Sembène Ousmane, Mariama Ba, Nadine Gordimer, André Brink, Franz Kafka, Günter Grass, Léon Tolstoï, Alexandre Soljenitsyne, William Faulkner, Toni Morrison, James Joyce, William Boyd, Antonio Lobo Antunès, Antonio Tabucchi, Gabriel Garcia Marquez, Henning Mankell, Assia Djebar, Rachid Mimouni, Naguib Mahfouz, Nazim Hikmet, Gao Xingjian, Imre Kertész, André Malraux, Claude Simon, Erik Orsenna, Pierre Goyémidé, Aké Loba, Ahmadou Kourouma, Camara Laye, Williams Sassine… sont accueillis par les mêmes forces montantes avec tous les égards dus aux "Dieux" des stades de football ?
En Guinée, dans le cadre de Lire en Fête, l'événement culturel dénommé Salon du Livre et de la Lecture de Conakry. Il s'est tenu, cette année, du 22 au 27 novembre 2004 pour sa 4ème édition ! Et, c'est bien par son volet "Auteurs En Visite" que ledit rendez-vous est d'une si émouvante originalité.
Car, aussitôt les stands des éditeurs du Mali, du Sénégal, de la Côte d'Ivoire, de la France (Présence Africaine, L'Harmattan, Karthala, Castel, Actes Sud) et de la Guinée (Ganndal) installés sous un chapiteau et le salon ouvert par les officiels, auteurs et éditeurs ont rencontré leurs visiteurs. Soit à l'occasion de séances plénières soit en ateliers, au Centre culturel mais plus souvent sur les lieux mêmes d'enseignement des élèves au seuil de l'Université. Les étudiants, quant à eux, après une rentrée retardée, étaient en grève pour protester contre leurs conditions de vie déplorables qu'ils redoutent de voir aggravées par la récente décision de supprimer les résidences U.
En moyenne, chaque auteur aura été reçu par sept établissements. Et, c'est précisément, à son accueil et, surtout, au terme de chacune de ses conférences, que ces bains de foule gigantesques, de façon spontanée, lui ont été réservés par ses lecteurs. Potentiels seulement, en vérité, sont ces derniers puisque les écrits de l'auteur ne sont pas disponibles en librairie ou réduits aux spécimens apportés par lui ou à deux ou trois exemplaires dans les rares bibliothèques. Mais, rien n'y aura fait. Il lui aura fallu, tout comme les stars internationales, poser pour les photos de famille, répondre à diverses interviews Internet, télé, radio et presse écrite, sacrifier au rite des autographes accordés sur cahiers de correspondances, carnets à spirales et divers bouts de papiers libres, faute de pouvoir le faire sur les pages de garde de ses livres ! …
Bouleversant, le phénomène, dans cette capitale de l'ex-pays de la "Révolution globale et multiforme" qui, pendant vingt-six ans, n'aura promu qu'un seul "très grand écrivain", le Chef Suprême de la Révolution en personne et ses dizaines de tomes, les productions de ses hommes liges, à vrai dire, ces - ô combien discrets - inspecteurs du PDG, Parti Démocratique de Guinée ! Et l'engouement des jeunes - pour l'écriture et la parole libres, plus préoccupées d'éthique et d'esthétique que de plans de carrière et de petits arrangements avec les puissances d'argent et/ou avec les pouvoirs politiques - est plutôt rassurant. Il prouve bien qu'ils mériteraient un tout autre sort que celui qui leur est fait. Si, entre autres, tous ceux qui ont accès à la fortune commune renonçaient pendant un certain temps à renouveler leurs parcs de 4X4 et autres limousines ruineuses, polluantes et scandaleuses dans les rues défoncées du pays, tous les établissements d'enseignement pourraient être abonnés au quotidien officiel, à un journal indépendant, à un périodique panafricain, à un quotidien d'informations internationales… et se voir dotés d'embryons de bibliothèques.
De Conakry sont reparties, en tout cas, le triomphe modeste mais résolument optimistes, toutes les "chauves-souris" comme Williams Sassine aimait à désigner, en particulier, les "écrit-vain" africains exilés dont le Centre culturel franco-guinéen a battu le rappel cette année: Binta Ann, Lanciné Kaba, Tierno Monenembo, Tolomsè Camara, Cheick Oumar Kanté qui ne se sont nullement pris pour les "prophètes" qu'ils ne sont pas "en leur pays". Ont pareillement été émerveillés tous les auteurs et/ou éditeurs français: Armelle Riché, Emmanuelle Moysan, Benoît Marchon, Jacques Bertoin, Bernard Magnier et les (encore trop rares) écrivains guinéens résidant au pays, regroupés en association: Thierno Djibi Thiam, Catherine Hilal, Nadine Bari, Zenab Koumanthio, entre autres...
Impressionnant enfin de réaliser, après coup, que sans concertation préalable aucune, les uns et les autres auront pu échanger avec leurs… lecteurs sur les sujets les plus divers dont la thématique ci-après ne traduit que très imparfaitement la teneur.
"Pourquoi n'entrez-vous pas dans le gouvernement ?
- Ce qu'un écrivain devrait savoir le mieux faire, c'est d'abord et avant tout écrire ! D'ailleurs, de bons écrivains se sont révélés d'abominables hommes politiques.
- Pourquoi, vous êtes-vous toujours tus sur la situation de l'Afrique ?
- Des écrivains ont plus souvent été tués pour avoir écrit que pour s'être tus.
- Des livres sont dits sacrés. Faut-il pour autant les "sacraliser" ?
- Il ne le faudrait pas ! L'herméneutique et l'exégèse (l'une et l'autre expliquées aux auditeurs avec simplicité, bien sûr) permettent des lectures apaisées pour contrer l'intégrisme et le fondamentalisme trop courants de nos jours, hélas !
- Une catastrophe naturelle (séisme, sécheresse, incendie, inondation…) frappe-t-elle sans discrimination une région ? Elle s'en relève toujours.
- Mais les guerres et les génocides laissent, quant à eux, des séquelles durables, plus difficilement "résiliables" à cause du tri sélectif opéré entre ceux qui auraient dû rester des compatriotes.
- Négationnismes et révisionnismes de toutes sortes rôdent autour de l'histoire de la Guinée.
- Il incombe aux écrivains de combler les moindres trous de mémoire. Quand les Guinéens oseront se regarder en face, ils assumeront vite leur passé et envisageront, sereins, un avenir réconcilié.
- Il est impératif de ne pas cultiver les seuls muscles de ses bras et de ses mollets ! Lire, lire ! Lire encore ! Lire toujours ! De tout, sur tout, partout de façon à "se muscler" le cerveau et l'esprit, aussi !
- Et pouvoir disposer, après, de ce qu'on pourrait appeler - en comparaison des constructions japonaises - des "réflexes parasismiques" aptes à prémunir la Guinée des tremblements et autres fractures sociales ayant détruit les pays à ses frontières. Ainsi, les Guinéens sauront-ils aménager dans leurs têtes ces digues faites de bon sens et de raison qui empêcheront l'inondation et la submersion de leurs cœurs par la haine destructrice.
- Les lycées ne sont pas à incendier ! Les bibliothèques et, donc, les livres ne sont pas à brûler ! … Même les élucubrations du défunt Chef Suprême de la Révolution méritent d'être lues, analysées, critiquées et conservées… Le régime nazi et les États totalitaires, seuls, sont capables de pratiquer des autodafés.

- À l'ère de l'Internet et du "village global", la culture par l'image de façon exclusive, véhicule certes excellent et instantané de l'émotion, est passive, illusoire et sujette aux tripatouillages et aux détournements alors que la culture par l'écrit, champ de prédilection de l'esprit critique, est active et durable…
- D'ailleurs, c'est seulement après avoir beaucoup lu que l'on peut réaliser si l'on a, soi-même, le don et/ou la vocation de l'écriture. Étant entendu que, comme il est de bon ton de le répéter dans la… profession: "écrire requiert 10% d'inspiration et 90% de transpiration !"
Deux livres et, accessoirement leurs auteurs, étaient les "mascottes" du Salon de Conakry. "Le mariage par colis" paru chez L'Harmattan en 2004 de Binta Ann, la plus jeune parmi les invités et "Peuls", édité au Seuil en 2004 de Tierno Monenembo, celui dont la notoriété n'est plus à faire.
Binta Ann aura sué sang et eau, jouant à merveille de sa proximité avec les jeunes, pour traiter non pas seulement du sujet de son livre, on ne peut plus, limpide mais pour aborder sans langue de bois les dangers de l'excision, les ravages du sida, (les préservatifs pour s'en protéger), la déchéance liée à la drogue, à l'alcool et à la prostitution, l'égalité entre les filles et les garçons, l'amitié, l'amour, les mirages de l'Europe et de l'Occident… Elle aura d'autant plus rempli son contrat que, pour égayer le Salon, l'adaptation théâtrale de son livre a été très applaudie. Si le jeu des acteurs sur scène n'a pas surpris, au pays de Kouyaté Sory Kandia et des Ballets africains, l'on n'a pu être qu'admiratif devant la bonne diction et l'éloquence des comédiens amateurs. Quand on pense que la langue de Patrick Modiano, de Jean-Marie Gustave Le Clezio et de Daniel Pennac n'a été réintroduite comme outil principal d'enseignement qu'en cette mémorable rentrée 1984-1985, la première après la disparition de Sékou Touré le 26 mars 1984 !
Participant pour la seconde fois au rendez-vous littéraire de Conakry, Tierno Monenembo ne s'est pas ménagé, lui non plus, pour aider à étancher la soif de savoir des jeunes Guinéens. Et le débat autour de "Peuls" - mais pas seulement - aura permis de mettre à l'épreuve deux assertions. La première est celle d'un des frères Goncourt (à moins qu'elle n'appartienne aux deux): "le roman est de l'histoire qui aurait pu être et l'histoire du roman qui aurait été." La seconde serait à mettre au crédit de François Guizot: "ouvrez donc un livre d'histoire si vous voulez lire un bon roman !"
Et, comment résister à l'envie d'ajouter son grain de sel aux nombreuses notes élogieuses et bien méritées, parues dans divers journaux à la lecture de "Peuls" ? Pourquoi ne pas dire que l'œuvre, monumentale et belle, rappelle "Figures du Palestinien" de Elias Sambar ? Comme ce dernier, Monenembo pourfend le mythe de la genèse des peuples, du fantasme de leur pureté (celle de ceux qui étaient là avant ! …) parce qu'ils seraient, eux, apparus du chaos. Toutes ces doctrines, on ne le sait que trop hélas, inclinent les uns à vouloir remplacer les autres, en les rejetant d'abord puis en les expulsant. Les Peuls, comme les Palestiniens, comme, du reste, les peuples de la Terre entière ont plutôt le goût du monde, sont ouverts à lui et sont perméables à la circulation universelle… Pour peu qu'ils aient les puissants moyens culturels pour résister aux manipulations des mystificateurs et des apprentis sorciers.
S'il n'est pas indispensable que chaque Hutu, Tutsi, Bantou, Bété, Baoulé, Dioula, Malinké, Bambara, Pygmée, Soussou, Kissi ou Koniagui… écrive l'épopée de son propre groupe ethnique, il serait salutaire que la disposition d'esprit, inspiratrice de la rédaction de "Peuls", interpelle tous les Africains, tous les Humains.

S'écriraient bientôt des livres intitulés: "Africains !" Mieux: "Humains !" D'ailleurs, ne sommes-nous pas, tous, des parents à plaisanteries, les uns avec les autres, de proche en proche et même de loin en loin ?...

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A la mémoire du Professeur Djibril Tamsir NIANE

Citation :
"Toutes les bibliothèques brûlées renaîtront de leurs cendres" !

DTN, La Bibliothèque sauvée des flammes !

DTN ! Pour Djibril Tamsir Niane et non pour le Directeur Technique National qu'il était après tout comme on dit en sport, avons-nous souvent plaisanté Daouda Niane, son fils et moi (Vous avez bien lu, on peut plaisanter avec les vraies éminences !°) quand il m'a associé moyennant deux contrats de trois mois en 1994 et en 1995 à la conception, à la création et au lancement de SORIBA, un magazine dédié aux jeunes. Ce, après avoir fait paraître en 1994 un manuel d'Éducation Civique dans une collection dénommée "Jeune Citoyen" dont les objectifs (procurer à l'enfant une précieuse documentation, l'éclairer, lui faire découvrir le mécanisme du jeu démocratique) sont clairement énoncés dans l'introduction.

"(…) L'éducation civique devient un impératif (…) Il s'agit pour l'essentiel d'enraciner dans l'esprit de l'enfant des idées simples mais fortes. La conquête de la liberté n'est jamais définitive ; chaque génération doit contribuer à sa consolidation. (…) La connaissance intime des institutions (…) nourrit en chaque enfant l'amour de la Nation et le respect des Droits de l'Homme. (…) Pour cela il s'agit de faire appel à (son) intelligence, à (sa) conscience et d'en faire un citoyen."

DTN, c'est le paraphe qu'il apposait pendant notre collaboration aux bas des documents (information, consigne, bon à imprimer…) déposés sur mon bureau près du sien à la SAEC, sa Société Africaine d'Édition et de Communication. Agréables moments qui m'auront permis d'intervenir à nouveau en Guinée dans mes domaines de prédilection : la presse et l'édition pour la jeunesse après avoir été mis en 1988 dans l'impossibilité de continuer à publier mon magazine d'information sur l'école en Guinée, en Afrique et dans le monde, La Nouvelle école, deux ans après l'avoir créé, torpillé qu'il a été par toutes sortes de tracasseries.
La vie, l'œuvre et, plus encore, le décès de DTN interpellent. En tout premier lieu ceux d'entre les Guinéens qui se targuent encore d'être plus Guinéens que d'autres quand on sait que l'historien, lui, de père sénégalais et de mère malienne a toujours été présenté comme un des plus éminents historiens et écrivains… guinéens ! Nationalité qu'il a habitée et portée avec un si grand bonheur que l'ethnocentriste le plus buté ne saurait la lui récuser !
Dans ces circonstances, il n'est pas inutile de rappeler qu'il y a plutôt de l'indécence, pire une complicité de crime politique à se réclamer de la révolution sékoutouréenne en se rappelant qu'entre autres griefs constitués de bric et de broc et moult accusations fallacieuses de complots et d'intelligence avec l'ennemi, les vers qui suivent lui ont valu en 1961 trois ans de détention. Une des répliques volontairement provoquées pour décimer les rangs des élites accourues de toutes parts au secours de la Guinée indépendante après le séisme de la Grande Grève des Enseignants de 1960.

"Camarade, je ne comprends pas.
Moi, j'ai dit non.
Toi aussi.
Et le méchant colon est parti.
Liberté est venue à sa place
Escortée par Démocratie.
Responsabilité suivait d'un pas grave.
Moi, j'ai dit non.
Toi aussi.
Richesse est venue en cachette
Et dans ta gibecière s'est logée.
Près de moi resta Pauvreté.
S'accordant sur Dignité.
Et pourtant j'avais bien dit NON.
Toi aussi d'ailleurs."

"Sollicité en 1970 pour devenir membre du Comité scientifique international pour l'élaboration et la publication d'une Histoire générale de l'Afrique, le Professeur Djibril Tamsir Niane a participé activement au développement de l'œuvre monumentale, la première et seule véritable histoire de tout le continent, conçue et élaborée par une équipe internationale de chercheurs sous l'égide de l'UNESCO, répondant à l'appel des États membres africains nouvellement indépendants pour les assister à réécrire leur histoire.
Il a assuré la direction du Volume IV couvrant la période du XIIe au XVIe siècle, une période cruciale de l'histoire du continent au cours de laquelle l'Afrique a développé sa propre culture et la production de documents écrits. Sous sa coordination, les auteurs ont livré un aperçu édifiant de l'expansion foudroyante de l'islam, le développement des relations commerciales, des échanges culturels et des contacts humains et l'essor des royaumes et des empires."

C'est aussi l'occasion d'évoquer l'incendie ayant partiellement détruit ses archives historiques et littéraires (manuscrits, notes de recherche, œuvres d'art, bibliothèque de travail…) dans la nuit du 8 au 9 février 2012 à son domicile de la Minière à Conakry. Je lui avais adressé ce message :

"Vous imaginez, j'en suis sûr, M. Djibril Tamsir Niane, à quel point je partage votre sentiment devant la perte ne serait-ce que d'une infime partie de votre bibliothèque et à plus forte raison si elle était détruite dans des proportions considérables. Hypothèse que je n'ose envisager.
Comme toujours, malheureusement, c'est quand le tragique et l'absurde se donnent la main que se dévoilent les facettes des multiples problèmes guinéens. En l'occurrence, l'incendie de votre bibliothèque pose à beaucoup d'entre nous la question de savoir où rapatrier un jour les documents accumulés dans l'exercice de nos activités, au long de nos pérégrinations. Puissions-nous, les uns et les autres, y songer plus encore maintenant que jamais !
Votre bibliothèque a brûlé, certes mais vous l'historien, l'écrivain, l'homme de culture, (je n'ose pas dire "le vieillard", même pour paraphraser l'acception noble du savant chez Amadou Hampaté Ba), vous demeurerez. Et je vous sais capable d'être encore plus vaillant pour reconstituer, avec toutes les bonnes volontés, le patrimoine à léguer à la Guinée, à l'Afrique et au reste du Monde"

À présent, je tiens à vous redire, cher DTN, ne pas douter un seul instant que vous saurez rassurer Amadou Hampaté Ba. "Toutes les bibliothèques brûlées renaîtront de leurs cendres" ! Non sans imaginer que vous récolterez à ses côtés les truculentes impressions de Wangrin sur l'étrange destin de l'empire global qu'est devenu le monde sous le règne des Algorithmes ! Comme vous avez su procéder avec les griots avant de produire Soundiata ou l'épopée mandingue, entre autres œuvres magistrales !

Signature :
Cheick Oumar KANTÉ

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Hommage à Docteur BAH Thierno

Docteur Bah ou l'incandescence personnifiée !

Elle persiste ma douloureuse impression que le chapelet de la Grande Faucheuse s'égrène avec une réelle complaisance pour rappeler à Elle de façon toujours prématurée les personnalités guinéennes parmi les plus valeureuses !
Sentiment à relativiser, bien sûr, compte tenu du nombre de nos compatriotes pas célèbres ou seulement dans les limites de leurs familles, de leurs quartiers ou, au mieux, de leurs villes qui décèdent tous les jours. Mais, c'est bien Docteur Bah qui s'est éteint dans un hôpital… d'Abidjan en ce mois de janvier 2021 !
Et, combien l'expression est, pour une fois, adéquate ! Car à l'évocation de son nom : Docteur Bah Thierno, Docteur "Bah de Cocody" - quartier résidentiel d'Abidjan où il a élu domicile dans les années 70 alors qu'il était Médecin Chef de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale de Côte d'Ivoire, on est aussitôt ébloui par l'incandescence, l'effervescence et la phosphorescence personnifiées. Tant brillait le médecin psychiatre de son état, … psycho-théra-psycha-pédago-socio-philosophe, me permettrai-je de lui décerner un parchemin supplémentaire à multiples unités de valeurs en guise d'attestation de ses nombreux acquis obtenus aussi bien dans l'exercice de son métier que dans ses relations avec ses compatriotes, exilés comme lui ou demeurés au pays.
L'homme avait la pensée active et rayonnante et c'est parfois lui faire injure que de le qualifier d'hyperactif ou d'activiste. On l'assimile, ce faisant, à la pléthore d'"universitaires" ou de syndicalistes africains ayant fait profession d'activistes à l'étranger jusqu'à accéder au pouvoir chez eux pour, aussitôt, en user et abuser à des fins personnelles sinon ethnocentristes.
Je n'ai pas connu Docteur Bah en Guinée à Labé, notre ville natale, où nos familles entretiennent, elles, des relations respectueuses. Et, sans évoquer les questions relevant du domaine matrimonial, je ne saurai m'empêcher de signaler que mon maître d'école coranique, mon initiateur à l'écriture des lettres arabes, facile à reconnaître dans cet extrait de mon poème - "La plume salvatrice" du recueil "Pourquoi diable n'ai-je pas été… un poète ?" éditions NDZE 2010 - était de sa famille : un des grands érudits du Fouta Djallon !

"Moments d'incertitude,
Menacent les affres de la Solitude.
Du papier blanc sous les yeux de mon vague à l'âme.
Entre les doigts, de mon marabout, le célèbre calame.
Trempé dans l'encre, il calligraphie
Et remplit, dans une géographie
D'équilibre, maints espaces sûrs.
Telle bonne sourate me rassure,
Une autre chasse ma peur,
Une fouette mon ardeur..."

Un "petit écart d'âge" existe entre Docteur Bah et ceux de ma génération. Lui a dû s'exiler dès 1961. Soit dix ans avant nous, suite à la grande grève des enseignants, des élèves et des étudiants en 1960. Comme la plupart des intellectuels guinéens et africains frais émoulus d'universités françaises qui ont milité pour l'indépendance immédiate de la Guinée et ont accouru à son secours, il s'était vite trouvé persécuté. Première des forfaitures qui allaient jalonner la future Révolution globale et multiforme guinéenne. Faucheuse encore plus Grande et brutale que l'Ordinaire, oublieuse qu'il avait fallu de toute urgence remplacer administrateurs, cadres et techniciens français rappelés en France par le Général De Gaulle ou redéployés dans les pays favorables à la communauté franco-africaine. Pour punir la Guinée d'avoir eu l'outrecuidance de choisir son émancipation à l'issue du Référendum du 28 septembre 1958 !
La disparition de Docteur Bah Thierno fait émerger quelques souvenirs de sa fréquentation à des moments cruciaux de notre exil en Côte d'Ivoire et en France.
Les réunions régulières aux lendemains tragiques du 22 novembre 1970 avec des pendaisons publiques à Conakry et dans plusieurs autres villes guinéennes de membres dits de la Cinquième Colonne, consécutives au débarquement à Conakry d'opposants politiques appuyés par une logistique portugaise. Ce, avant même mon élection comme membre du bureau de l'Association des Étudiants Guinéens en Côte d'Ivoire au poste de secrétaire général.
Il a fait partie "de ces Guinéens déjà diplômés et expérimentés sur le plan professionnel", aux carnets d'adresse précieux : "médecins, avocats, pharmaciens, hommes d'affaires"… qui nous ont été d'un concours appréciable pour obtenir des aides du gouvernement ivoirien et de la représentation culturelle française puisque nous ne pouvions pas être boursiers de notre pays. Ainsi la plupart d'entre nous étaient-ils obligés, moyennant des salaires pas toujours payés à temps et souvent même pas payés du tout, d'exercer un travail quelconque au détriment de la Fac. Il est "de ceux qui nous ont fait espérer qu'en réussissant nos études supérieures dans les conditions difficiles qui étaient les nôtres, nous parviendrions à intégrer la vie active dans différents domaines au pays de notre exil forcé. La meilleure façon de nous mettre en réserve pour servir la Guinée post-pseudo-révolutionnaire"...
Éprouvions-nous par moments un début de découragement, une certaine lassitude ? Docteur Bah était "à notre chevet" pour nous rassurer et encourager :

— Dans le milieu des exilés, elle est normale, la petite dépression en fin d'année. Tenez bon, nous passerons en Guinée les prochaines fêtes de Noël et du Nouvel An !

Lui-même ne reviendra sur sa terre natale qu'après la mort du Chef Suprême de la Révolution le 26 mars 1984. Moi, après un premier "pèlerinage" par avion en juillet, je tenterai en voiture le retour définitif. Je me trouverai à Kankan le… 24 décembre et pourrai fêter le Nouvel An… 1985 à Labé parmi les miens !

En plus d'avoir été l'un des visiteurs de la Cité Mermoz, le "campus emblématique des étudiants guinéens en Côte d'Ivoire" dans les années 70 dont je raconte les dures conditions de vie et d'études dans "Orphelins de la Révolution" et que j'ai rappelées au décès d'un autre compatriote ancien exilé, Docteur Bah, lui, avait, de surcroît, sa porte ouverte à tous et le couvert offert.
J'ai, par ailleurs, le souvenir de quelques-unes de ses visites lors de mon stage à Jeune Afrique en 1993. Chef de Service de Santé Publique à Melun, c'est plutôt en tant que Délégué général du Parti de l'Union pour la Nouvelle République dont il a été membre fondateur qu'il a éclairé ma lanterne à chaque occasion sur les multiples objectifs et actions de son Mouvement. Et à titre personnel, sur son travail avec le groupe parlementaire français Amitié France-Guinée, sur ses idées pour le mieux-être des Guinéens et son exaspération devant l'incurie de leurs dirigeants…
Reviennent aussi à ma mémoire nos échanges téléphoniques nombreux et le dernier de vive voix au Salon du livre de Paris en 2012 au cours d'un débat organisé par la délégation guinéenne sur le thème de la lecture à l'école. Les points de vue de tous les participants avaient été enrichissants mais nous n'étions pas moins peinés de penser que de ce qui s'en était dégagé, il ne serait tenu aucun compte par le pouvoir guinéen à Conakry !
Je réentends sa réaction après à la vue de mon roman au Stand de Riveneuve "À Dongora coulera à nouveau la rivière".

— Il est prémonitoire, ton livre. Des pluies diluviennes se sont abattues sur Labé comme cela n'était pas arrivé depuis longtemps !...

Mais, enfin, qui saurait mieux dire que Docteur Bah lui-même que la flamme allumée par lui ne s'éteindra jamais ?

"J'ai assisté, révolté, impuissant et attristé, à l'enlisement de la Guinée, dans une impasse profonde dans tous les domaines : moral, politique, économique, socioculturel. Au soir de ma vie, je consacre les forces qui me restent à témoigner du parcours de notre pays. J'ai dénoncé les crimes politiques que les différents présidents ont ordonnés pour se maintenir à la tête de la Guinée. Je dédie ce volume à la jeunesse guinéenne, je lui fais confiance pour relever les défis de l'incapacité des dirigeants successifs pour construire un État démocratique, capable de protéger et de nourrir ses habitants. Vive la Guinée !"

C'est le texte de la quatrième de couverture de "La Guinée a eu 55 ans et maintenant ?" Éditions L'Harmattan 2016, un des livres dont il est l'auteur.

Ses autres titres : "Mon combat pour la Guinée" - Édition Khartala 1996, "Trente ans de violence politique en Guinée 1954 - 1984" - Éditions L'Harmattan 2009, "La République des Voleurs" - Éditions L'Harmattan 2013, "Le Rassemblement de la Société Civile guinéenne. Une union impossible?" - Éditions L'Harmattan 2016.

Ainsi, Docteur Bah aura bien consacré sa vie et son action à la tentative d'élucidation et d'élimination du virus frappant si douloureusement la Guinée. Ce beau pays si cher à nos cœurs mais dont les dirigeants successifs semblent victimes d'un syndrome que j'ai pensé être typiquement guinéen.
"Être frappé du syndrome politique guinéen ? C'est, pour des dirigeants politiques, présider aux destinées de populations parmi les plus pacifiques, sourdes qu'elles sont aux sirènes ethniques, capables d'abnégation et confiantes en l'avenir, dans un pays disposant de potentialités immenses, "un scandale géologique" comme il est coutume de le désigner tant il recèle de minerais essentiels, abritant de surcroît le Château d'eau de l'Afrique, et se complaire d'en faire l'un des pays les moins avancés de la planète !..."

Alors, tant que le mal guinéen n'aura pas été guéri, la flamme que tu as allumée ne s'éteindra pas, Docteur Bah !

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